J'ai vendu mon âme.
Bientôt vous rirez de mon infortune.
J'ai choisi. J'ai posé la tête sur le billau, je sais que la hâche s'abattra sur ma nuque tôt ou tard, et la rompra d'un coup sec.
J'ai posé ma tête sur le billau, toutes mes bouclettes libérées, dans la tiédeur des aurores sereines et des nuits fébriles.
J'ai posé ma joue sur le billau, pour mieux la regarder, pour un moment avec elle.
A l'heure où j'écris, je vis le moment le plus fort qu'il m'ait été de vivre depuis presque quatre ans. Chaque seconde passée à lui appartenir, à savoir qu'elle m'aime et me désire est une dose de morphine qui me survolte. Chaque seconde passée entre ses bras, à nager dans son corps fait de moi la plus accomplie des femmes. Chaque seconde cause ma perte.
"Bourreau, tiens-toi loin et longtemps, et affûte la lame pour que la souffrance ne deferle pas un instant dans mes veines."
Mes veines.
Un flux bouillonnant circule à la vitesse de la lame qui tombe, dans mes veines, quand elle pose ses mains sur moi. Elle prononce à mon oreille les mots qui me font trembler, et je souffre mille morts dans ses bras. Je ne suis plus rien, rien qu'un corps sujet à tous les plaisirs, déconnecté de mon cerveau, il se libére de moi.
Ma liberté.
Je marche dans des forêts luxuriantes, je nage avec l'omble chevalier, je bois à la source la liberté retrouvée, celle d'aimer, de faire le choix de se jeter dans une passion, plus qu'une histoire.
Je doute un instant, lève la tête du billau, je ne vois que la foule ininteressante venue assister à la mise à mort. Je ne doute plus, je pose de nouveau mon visage sur le bois vivant, je te regarde, belle et fascinante, tu me souris. Je ne vois pas les ombres, et n'entends pas les pas du bourreau qui s'est probablement déja mis en route. Je ne vois que toi. Je t'ai attendu. Tu es là.

Quand la lame s'abattra sur moi, je garderai un ultime instant le bonheur de t'avoir connu, toi, mon Faust...


La pitié du bourreau consiste à frapper d'un coup sûr.
Ernst Jünger